Les Rendez-vous de la pensée protestante à Collonges

Les Rendez-vous de la pensée protestante à Collonges

13 juil. 2021

L’autorité des Ecritures valorisée à Collonges

 

Du 25 au 27 juin, le Campus adventiste du Salève accueillait à Collonges la troisième édition des Rendez-vous de la pensée protestante. A l’initiative d’un petit groupe de théologiens, il y a quatre ans, ce projet avance vers sa maturité et cette édition a enrichi et réjouit les quelques 80 enseignants et étudiants venus de toutes les facultés de théologie francophones (France, Belgique et Suisse), qu’ils soient de sensibilité réformée, luthérienne, évangélique ou adventiste.

Les Rendez-vous de la pensée protestante (RVPP), c’est d’abord une intention : celle de réunir et faire dialoguer des théologiens de la diversité protestante… et même de faire émerger des figures nouvelles. Les RVPP, c’est aussi un état d’esprit, celui de la fraternité, de l’accueil de l’autre, la liberté de penser et de s’exprimer ; ne pas juste être le porte-parole d’une institution. Enfin, les RVPP, c’est aussi une méthode : l’échange, la disputatio au sens antique du terme, c’est-à-dire le débat sincère. En d’autres termes, il ne s’agit pas d’enchainer les longs discours où chacun présente à tour de rôle ses positions, mais de chercher à écouter l’autre, se laisser déplacer par le partage. Comme le président de l’association des Rendez-vous de la pensée protestante, Samuel Amédro, l’a déclaré dans son allocution initiale : « Je crois et j’espère en la vertu de la rencontre. J’espère des libéraux suffisamment libéraux pour quitter leur esprit de jugement et enfin accepter qu’on ne pense pas comme eux. Et j’espère des évangéliques suffisamment convaincus de l’autorité du Christ sur leur vie qu’ils ne laissent pas leur amour de la vérité prendre le dessus sur la vérité de leur amour. J’attends et j’espère une fraternité réelle qui traverse en confiance la conflictualité inhérente à toute discussion vraie. » Et cette dynamique fonctionne comme l’a exprimé, après les premiers débats, Nathalie Leenhardt, ancienne rédactrice en chef du journal Réforme : « Ce qui paraissait utopique se réalise ! La rencontre a lieu, les préjugés tombent, le débat se noue, dans le respect de l’autre. »

Une pensée protestante débattue
Sola scriptura

Le sujet discuté cette année, en prolongement de l’édition précédente, concernait l’autorité des Écritures. Un premier débat thématique a eu lieu autour de la notion de sola scriptura, afin de mesurer les enjeux de ce que peut signifier l’Écriture comme seule autorité en matière de foi. Pour les uns, la Bible est la Parole de Dieu, pour d’autres elle le devient. Pour tous, elle doit de toutes façons être interprétée et sa communication comme sa fécondité passent par diverses médiations.

Un deuxième angle a été abordé : l’usage de la Bible pour faire autorité, et une étude de cas était proposée sur le thème de l’argent. Il est en l’occurrence révélateur que certains utilisent la Bible pour prôner simplicité voire pauvreté alors que d’autres s’appuient également sur la Bible pour donner sens à une certaine abondance, y compris matérielle, fruit de la bénédiction divine. Sans relativiser la pertinence de la Bible et son autorité, ces écarts mettent en évidence le besoin de contextualiser, de ne pas isoler certains passages…

L'usage de la Bible
Loi de Dieu, lois de la République

Une table ronde publique a également eu lieu sur le thème « Loi de Dieu, lois de la République ». Elle a permis non seulement de mesurer la tension qui peut exister entre autorité temporelle et autorité spirituelle mais aussi de mettre en évidence la nécessaire complémentarité et les croisements qui peuvent exister, soulignant notamment la liberté de conscience et la portée transformatrice de l’Évangile, jusque dans la sphère publique.

Une participation au culte adventiste, des repas partagés, des moments musicaux, une balade méditative, des discussions en groupes… ont également contribué à la richesse de l’événement qui, au final, aura été stimulant théologiquement, convivial rationnellement et riche spirituellement.

Une rencontre Un programme bien varié
La FAT s'engage

Lors des Rendez-vous de la pensée protestante 2021 au Campus adventiste du Salève, la faculté de Collonges a notamment été représenté par Daniela Gelbrich, professeure d’Ancien Testament à la FAT, et Nuvind Seenundun, pasteur mauricien actuellement en disponibilité pour poursuivre ses études à Collonges. Ils constituaient le binôme collongeois qui est intervenu lors du troisième débat, en dialogue avec le binôme bruxellois. Au travers de leurs réponses à quelques questions, voici leur regard sur l’événement.

Daniela Gelbrich, quels moments marquants avez-vous vécu lors de ces Rendez-vous de la pensée protestante ? Que retenez-vous de la méthode proposée ?

Les discussions en tête-à-tête avec les participants étaient certainement des moments forts. Un nombre impressionnant d’entre eux m’ont dit qu’ils étaient venus avec des a priori à l’égard de l’église adventiste et qu’ils repartaient en les abandonnant face à l’accueil chaleureux et bienveillant qui leur avait été réservé. J’ai également beaucoup apprécié le respect des intervenants envers l’autre ou les autres qui ne pense(nt) pas forcément comme eux et les discours respectifs des intervenants. Ecouter et essayer de comprendre ce que l’autre dit est tellement important et les convictions des uns et des autres étaient réellement respectées. A titre personnel, je trouve que la méthode proposée fonctionne très bien. Elle m’a permis de voir mes angles morts dans ma propre réflexion. C’est toujours un privilège de pouvoir confronter ses pensées à celles des autres pour pouvoir peaufiner et nuancer mieux ses propres propos.

Avec Nuvind, vous avez défendu la thèse qu’il fallait pour la Bible assumer une forme de vulnérabilité dans la société actuelle… Comment la Bible peut être vulnérable sans pour autant s’effacer et être absente ?

A mon avis, la Bible n’a pas à avoir peur d’être vulnérable. Le Dieu de la Bible nous a montré qu’il n’avait pas peur d’être questionné, remis en question ou rejeté par l’être humain. L’amour véritable repose sur la liberté et la liberté inclut le risque d’être rejeté et abandonné. Face à la vulnérabilité du Dieu de la Bible et de la Bible elle-même, qui se veut vulnérable car elle présente une panoplie des genres littéraires à travers lesquels Dieu se fait connaître et où Dieu s’expose au risque de la déformation, la Bible a gardé et, je pense, gardera toujours sa place dans le monde (bien qu’elle ait attaqué constamment au cours des siècles de l’histoire humaine). Aucun contexte philosophique et aucun stratagème ingénieux venant de la part de l’être humain n’a pu la détruire jusqu’à l’heure actuelle. Elle continue de parler et de transformer des vies et cela malgré tout.

Quelles sont les nécessaires médiations pour faire résonner le message biblique à nos contemporains ?

C’est une question intéressante et très importante. Je pense qu’il faut déjà trouver un langage qui parle à nos contemporains dans le but de partager les pensées de l’univers biblique. Le texte biblique a été rédigé en Antiquité, dans un contexte culturel et philosophique qui n’est pas le nôtre. Et malgré cette distance entre nous et la genèse de la Bible, ce texte continue de nous parler et de toucher quelque chose en l’être humain qui est universel, qui touche à l’existence humaine, aux défis devant lesquels se trouve l’humanité. Il faut savoir le partager avec intelligence, tact et amour. Dans notre société plurielle, chacun a sa « vérité », il y a des autorités (qui ne se veulent plus autoritaires). Nous pouvons partager nos convictions, partager avec humilité et sagesse pourquoi ce texte se révèle impératif pour nous. Si l’autre est à notre écoute et nous sommes à l’écoute de l’autre, un tel échange peut être très fructueux.

Daniela répond...
...Nuvind aussi!

Nuvind Seenundun, que retenez-vous de cette expérience de partage et de débat avec divers théologiens de la diversité protestante ? Y abandonne-t-on son identité ou au contraire celle-ci peut-elle s’y affirmer avec authenticité et conviction ?

Pendant ce colloque, je me suis demandé s’il y avait vraiment une pensée protestante ou si on pouvait parler des pensées protestantes au pluriel. Or, il y a un socle commun, en l’occurrence les solas (sola scriptura, sola fide, sola gratie, solus Christus…) mais surtout, la nature éclectique de la réception et de l’interprétation de cette pensée qui, dans le débat protestant, conduit, non à une perte identitaire mais plutôt à un enrichissement de son être, car la réflexion a poussé à réévaluer ses acquis, à réexaminer ses conceptions pour affiner son être.

La réflexion théologique n’est donc pas juste la réaffirmation de ce qui est déjà connu et accepté, mais un cheminement, une recherche, une ouverture… En quoi ces Rendez-vous de la pensée protestante vous ont enrichi sur le thème de l’autorité des Écritures ?

Ces rencontres m’ont permis de revisiter cette croyance en l’autorité des Écritures. Loin d’être figée dans le temps, c’est une croyance qui est appelée à se renouveler, à être continuellement lue avec l’ère du temps, quitte à être redéfinie. Par contre, on ne peut ni la remplacer ni la substituer, au risque de se constituer une figure d’autorité sur les Écritures. Même si c’est une autorité pleine et ultime, misérable est celui qui, prétextant l’impératif scripturaire, impose ses vues aux autres, car cette autorité, à l’image du Christ, ne s’impose pas mais se propose, s’offre et s’expose.

Il ne suffit pas de lire les Écritures, ou de présenter la Bible… il y a un essentiel travail d’interprétation. Quels en sont les défis ?

Nous avons aujourd’hui plusieurs outils et plusieurs méthodes de lectures et d’interprétations. De par l’empreinte divine des Écritures, l’idée d’une multiplicité de sens est compréhensible et admissible. Néanmoins, pluralité de sens ne signifie pas sens illimité. S’il est vrai que tout lecteur vient vers le texte avec des présupposés, cela ne signifie pas que toutes les interprétations sont plausibles. En interprétant, le lecteur fait face à des limites et des dépassements. L’homme est limité par rapport aux distances qu’il a avec le texte (culture, langues, temps, etc.) mais il est dépassé dans son traitement et sa compréhension des concepts divins.

Tous les articles Faculté adventiste de théologie